Une décision incompréhensible après des années d’attente
Quelques semaines après la publication du rapport annuel sur la qualité des eaux de baignade en Europe, la Commission européenne vient de confirmer une décision qui nous laisse profondément déçus : elle ne juge pas prioritaire d’amorcer une révision de la directive sur les eaux de baignade, pourtant attendue depuis de nombreuses années par les acteurs de la protection de l’Océan.
Cette annonce est d’autant plus incompréhensible que la Commission avait elle-même initié une évaluation approfondie de cette directive il y a plusieurs années, accompagnée d’une étude d’impact dont les conclusions ont été révélées en mars dernier. Paradoxalement, ce rapport met en évidence, sans toutefois le mentionner clairement, qu’une révision serait la bienvenue pour mieux intégrer les nouveaux enjeux environnementaux et sanitaires.
Nous regrettons amèrement que la Commissionne se saisisse pas de l’opportunité de réouvrir la directive pour réaffirmer l’importance cruciale de protéger à la fois les écosystèmes aquatiques, impactés par de très nombreuses sources de pollution, et la santé des millions de personnes qui profitent des eaux récréatives tout au long de l’année.
Pourquoi la révision de la directive est-elle cruciale ?
La directive concernant la gestion de la qualité des eaux de baignade a été adoptée en 2006, remplaçant une première directive datant elle de 1976.
Sa version actuelle a donc près de 20 ans.
En deux décennies, les défis environnementaux ont considérablement évolué, tout comme notre connaissance des polluants et menaces qui pèsent sur l’Océan.
Les critères d’évaluation actuels ne nous semblent plus adaptés aux réalités contemporaines
Certes, la Commission se félicite dans son récent rapport que 85% des eaux de baignade européennes soient d’excellente qualité. Mais comme nous le déplorons depuis des années, et comme nous l’avons mis en avant dans notre Manifeste pour la qualité des eaux de baignade et récréatives en Europe, cette évaluation se base sur des critères qui ne reflètent plus la complexité des pollutions actuelles. Les nouveaux polluants chimiques, les cyanobactéries, les microplastiques ou encore l’évolution des pratiques récréatives tout au long de l’année ne sont pas suffisamment pris en compte.
La directive actuelle ne couvre que la baignade dans des zones officiellement désignées en fonction de leur fréquentation par des baigneurs, laissant de côté les millions de pratiquants d’activités nautiques (surf, paddle, snorkeling) qui évoluent en dehors de ces périmètres surveillés. Cette limitation représente un véritable angle mort en termes de protection sanitaire et environnementale.

Un rapport d’évaluation qui valide nos recommandations
Le plus frustrant dans cette décision, c’est que les conclusions du rapport d’évaluation commandé par la Commission elle-même sont parfaitement alignées avec les recommandations de notre Manifeste pour des eaux saines publié en 2020.
Parmi les éléments mis en avant dans ses conclusions, le rapport reconnaît qu’il est possible d’améliorer le niveau réel de protection de la santé et de l’environnement assuré par la directive, conformément à l’ambition de l’UE en matière de pollution zéro et de biodiversité. Il souligne également le potentiel d’amélioration de la cohérence avec les autres cadres juridiques couvrant les eaux douces, côtières et marines.
Plusieurs points du rapport font directement écho à nos demandes :
➡️ Sur la surveillance des paramètres : Le rapport préconise, suivant les conseils de l’OMS, que les fréquences de surveillance soient mieux adaptées aux réalités locales et que les cyanobactéries soient prises en compte dans le système de classification. Il recommande également la prise en considération d’autres polluants et paramètres (bactéries, virus) sur la base d’une gestion des risques pour la santé humaine. Nous demandons depuis longtemps l’ajout de nouveaux paramètres : déchets, algues nuisibles, cyanobactéries et pollution chimique des eaux de surface.
➡️ Sur la nécessité de contrôle à l’année : Le rapport questionne la notion de « grand nombre de baigneurs » requise pour l’identification d’un site de baignade, jugée insuffisamment définie. Il souligne que les changements dans les habitudes de baignade, avec une augmentation des activités tout au long de l’année, devraient être pris en considération. C’est exactement ce que nous réclamons : un contrôle sanitaire de la qualité de l’eau tout au long de l’année qui permettrait notamment d’assurer la sécurité sanitaire des pratiquants d’activités nautiques qui vont à l’eau en toute occasion.
➡️ Sur l’harmonisation des politiques : Le rapport appelle à un meilleur alignement du système de classification avec les systèmes de suivi et les informations disponibles au sein d’autres directives européennes. Nous demandons cette harmonisation depuis des années pour simplifier l’évaluation de la qualité des eaux douces et marines et renforcer la protection de la santé des usagers.
➡️ Sur l’information et la participation du public : Le rapport préconise une meilleure harmonisation de la mise à disposition d’informations au sujet de la qualité des eaux de baignade auprès public. Nos demandes portent sur une information plus qualitative, accessible et mieux relayée, avec une participation citoyenne renforcée.
Sur nos sept recommandations principales, la quasi totalité sont parfaitement en accord avec les conclusions du rapport d’évaluation.
Comment comprendre, dans ces conditions, que la Commission refuse d’ouvrir une révision ?
Une approche « One Health » nécessaire
La directive actuelle n’est pas entièrement alignée sur les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé et devrait davantage intégrer l’approche « One Health » (« une seule santé »), qui vise à considérer comme un « tout » indivisible la santé humaine, la santé animale et la protection de l’environnement.
Cette approche globale est indispensable pour faire face aux défis environnementaux actuels. Les pollutions qui affectent l’Océan et nos eaux récréatives ont des impacts interconnectés sur tous les êtres vivants. Ignorer cette réalité, c’est prendre le risque de laisser se dégrader à la fois notre environnement et notre santé.

Surfrider Foundation Europe ne baisse pas les bras
Malgré cette décision décevante, nous ne lâchons rien. La protection de l’Océan et la santé des millions d’Européens qui en profitent sont des enjeux trop importants pour que nous renoncions.
Nous appelons tous les citoyens, amoureux de l’Océan et des moments de bien-être passés dans l’eau, à prendre conscience de la portée profonde de ce texte et de l’importance de faire pression pour que les choses changent. Il est essentiel que la directive soit révisée pour protéger notre santé, mais aussi et surtout l’Océan et tous les écosystèmes qu’il abrite.
La Commission européenne a peut-être choisi de ne pas agir aujourd’hui, mais la pression citoyenne et scientifique continuera de croître. Les enjeux de santé publique et de protection environnementale sont trop cruciaux pour être ignorés indéfiniment.
Nous poursuivrons notre mobilisation, nos actions de plaidoyer et notre travail de sensibilisation. Car l’Océan et ceux qui en dépendent méritent mieux qu’une directive vieille de 20 ans, inadaptée aux défis du 21ème siècle.
Pour approfondir le sujet :
➡️ Découvrez les actions de Surfrider en lien avec la qualité des eaux de surface
➡️ Lisez notre article « Nouveau rapport annuel sur la qualité des eaux de baignades : à quand la prise en compte des enjeux environnementaux et sanitaires d’aujourd’hui ?«