Les images des tempêtes hivernales qui balaient régulièrement nos côtes restent gravées dans les mémoires. Plages disparues en une nuit, dunes éventrées, habitations menacées… Ces événements, de plus en plus fréquents et violents, nous rappellent la vulnérabilité de nos littoraux face aux éléments naturels déchaînés.
Dans notre article précédent sur les plages, nous évoquions les multiples menaces pesant sur ces espaces : pressions anthropiques croissantes et conséquences du changement climatique. Face à ces défis majeurs, une approche innovante émerge et s’impose progressivement : les Solutions fondées sur la Nature, ou SFN.
Surfrider Foundation Europe les met en avant dans ses actions et ses discours comme des moyens à privilégier pour l’adaptation et l’atténuation du dérèglement climatique. Mais concrètement, de quoi parle-t-on ? Comment des écosystèmes naturels peuvent-ils nous protéger efficacement ? Et pourquoi représentent-ils une alternative crédible aux infrastructures traditionnelles ?
Note : Cet article s’appuie sur les travaux du comité français de l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature).
Littoraux français : un patrimoine sous pression
Les pressions anthropiques
Le littoral français s’étend sur 18 000 kilomètres, dont 12 700 en outre-mer. En métropole, il ne représente que 4 % du territoire national, mais concentre 10 % de la population totale, soit 6 millions d’habitants permanents, auxquels s’ajoutent des millions de touristes chaque année. Cette concentration démographique se traduit par une artificialisation bien plus importante que sur le reste du territoire.
Nos côtes se déclinent en trois grands types : les côtes rocheuses, les côtes sableuses, et les marais, lagunes et vasières. Ces milieux constituent des lieux d’hivernage, d’alimentation et de reproduction essentiels pour de nombreuses espèces, notamment de poissons et d’oiseaux. Mais ils subissent de plein fouet l’impact des activités humaines.
L’artificialisation des côtes par la construction d’aménagements divers, l’édification de barrages et de digues sur les cours d’eau et les littoraux perturbent gravement le transit sédimentaire naturel. Les activités de dragage prélèvent des quantités importantes de sédiments. La destruction de la végétation côtière et des écosystèmes dunaires fragilise les défenses naturelles. À cela s’ajoutent les déchets et pollutions diverses qui dégradent la qualité écologique de ces milieux.
Le résultat de ce cumul de pressions est sans appel : le fonctionnement naturel des écosystèmes littoraux est perturbé en profondeur, réduisant dramatiquement leur capacité de résilience face aux aléas naturels.
Les impacts du changement climatique
Le dernier rapport du GIEC ne laisse aucune place au doute : l’élévation du niveau marin mondial est inévitable. Les projections pour 2100 oscillent entre 48 centimètres dans le scénario le plus optimiste et 84 centimètres dans le plus pessimiste. Pire encore, en raison des incertitudes concernant le comportement de la calotte polaire antarctique, une élévation dépassant le mètre n’est pas exclue d’ici la fin du siècle.
Cette hausse du niveau des océans s’accompagne d’une intensification préoccupante des phénomènes météorologiques. Les températures continueront d’augmenter tout au long de notre siècle, entraînant une augmentation de la puissance et de la fréquence des tempêtes.
Les conséquences sont directes et mesurables : accentuation de l’érosion côtière, submersions marines plus intenses et plus fréquentes, avec leur cortège de dégâts matériels et humains etc.
L'érosion côtière
L’érosion côtière se manifeste par un recul du trait de côte – la mer gagne progressivement du terrain vers l’intérieur des terres – et par un abaissement des plages et des petits fonds marins.
Plusieurs facteurs aggravent ce phénomène naturel : le déficit en sédiments qui empêche le renouvellement des plages, l’élévation du niveau marin liée au réchauffement climatique, mais surtout les activités humaines qui fragilisent durablement ces espaces.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : plus de 270 kilomètres de côtes françaises reculent de plus de 50 centimètres par an, et 39 % des côtes basses sableuses sont en situation de recul actif.
La submersion marine
La submersion marine désigne l’inondation temporaire de la zone côtière par la mer. Elle survient le plus souvent lors d’une tempête, quand se combinent fortes pluies, vent de mer et marée haute. En France, pas moins de 864 communes sont particulièrement exposées à ce type d’inondation.
La mobilité dunaire
La mobilité dunaire désigne le mouvement des dunes non végétalisées vers l’intérieur des terres. 
Ce phénomène, longtemps maîtrisé par la végétalisation et la stabilisation des dunes, connaît aujourd’hui une inversion inquiétante : les dunes autrefois fixées reculent désormais sous l’effet de l’érosion marine et de la diminution des apports sédimentaires. 
Ce recul fragilise notre première ligne de défense naturelle contre la mer.
Pour compléter
- Nos plages en danger : comprendre les menaces qui pèsent sur les espaces littoraux
- Les SFN pour protéger les littoraux : comment ça marche ? (à venir le 06/11/2025)
Les limites des solutions traditionnelles
Face aux risques côtiers, l’approche historique en Europe a longtemps privilégié le génie civil : construction de digues, de murs, de brise-lames, d’épis… Aujourd’hui encore, 70 % du littoral protégé européen est aménagé avec ces infrastructures dites « grises ».
Pourtant, ces ouvrages montrent leurs limites. Leurs coûts d’aménagement et d’entretien sont considérables et ne cessent d’augmenter. Leur durée de vie, généralement comprise entre 50 et 100 ans, nécessite des réfections ou remplacements réguliers. Plus grave encore, en cas de rupture, ils peuvent entraîner des submersions brutales et dévastatrices pour les zones situées en arrière.
Ces infrastructures ont également des impacts négatifs importants sur les écosystèmes et les paysages. Elles peuvent perturber les courants marins, bloquer le transit sédimentaire naturel, détruire des habitats, et défigurer le caractère naturel des côtes.
En définitive, ces ouvrages ne constituent qu’une protection temporaire et limitée face aux éléments naturels. Face à un océan dont le niveau monte inexorablement et à des tempêtes toujours plus violentes, ils montrent chaque jour davantage leurs faiblesses structurelles.
Une note d’espoir cependant : seule une limitation drastique de nos émissions de gaz à effet de serre pourra véritablement changer la donne à long terme. Mais dans l’immédiat, il est indispensable de repenser dès maintenant l‘adaptation de nos territoires côtiers, en privilégiant des approches plus durables et résilientes.
Que sont les Solutions fondées sur la Nature ?
Définition et principes
L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) définit les Solutions fondées sur la Nature comme « des actions qui s’appuient sur les écosystèmes pour relever les défis que posent les changements globaux à nos sociétés« . Ces défis sont multiples : lutte contre les changements climatiques, gestion des risques naturels, préservation de la santé, approvisionnement en eau, sécurité alimentaire…
La philosophie sous-jacente est limpide : des écosystèmes préservés ou restaurés, résilients, fonctionnels et diversifiés, accueillent une grande biodiversité et fournissent naturellement de nombreux services à nos sociétés. Ces services, que les scientifiques appellent « services écosystémiques« , sont gratuits, renouvelables et souvent bien plus efficaces que les solutions purement technologiques.
Les SFN reposent donc sur trois piliers complémentaires, qui peuvent être combinés entre eux et même, si nécessaire, avec des solutions d’ingénierie civile :
La préservation : protéger les écosystèmes fonctionnels et en bon état écologique avant qu’ils ne se dégradent. C’est la stratégie la plus efficace et la moins coûteuse, car elle évite d’avoir à restaurer plus tard ce qui aurait pu être simplement préservé.
L’amélioration de la gestion : adapter nos pratiques pour permettre une utilisation durable des écosystèmes par les activités humaines, sans compromettre leur fonctionnement écologique ni leur capacité à fournir des services.
La restauration ou la création : intervenir pour réparer des écosystèmes dégradés ou, dans certains cas, créer de nouveaux écosystèmes là où ils ont complètement disparu.
L’objectif est de relever directement les défis de société de manière efficace, adaptative, et en harmonie avec la nature plutôt qu’en opposition avec elle.
Il est important toutefois de bien comprendre que les SFN ne sont pas des solutions miracles instantanées. Elles nécessitent du temps pour être pleinement efficaces : la restauration d’un écosystème demande généralement plusieurs années avant d’atteindre sa maturité et sa pleine capacité de protection.
Les SFN requièrent également un espace suffisant pour fonctionner correctement, ce qui peut constituer une contrainte dans les zones très urbanisées où le foncier est rare et cher. Elles dépendent d’une qualité écologique minimale de départ et nécessitent un suivi régulier (monitoring) pour vérifier leur bon fonctionnement et procéder à des ajustements si nécessaire.
Sur le plan réglementaire et politique, les SFN bénéficient désormais d’un cadre favorable en France. Elles ont été intégrées dans le Plan Climat, le Plan Biodiversité et le Plan National d’Adaptation au Changement Climatique. La loi Climat et Résilience les encourage également, tout comme divers documents d’urbanisme tels que les Plans de Prévention des Risques Naturels (PPRN) ou les Schémas de Cohérence Territoriale (SCOT).
 
								