Grand écran et mégots : quand le cinéma banalise un geste écocide

Le Festival de Cannes bat son plein en ce moment même, mettant en lumière le meilleur du 7ème art. Mais saviez-vous que 80% des films nommés pour l’Oscar du meilleur film 2025 comportent des scènes de tabagisme ?
Un chiffre alarmant révélé par Action Contre le Tabac (ACT) qui nous amène à nous interroger sur l’influence du grand et petit écran concernant l’acte de fumer, mais surtout sur la banalisation d’un geste terriblement nocif pour notre Océan : jeter son mégot par terre.

La cigarette, actrice principale de très nombreux films

La cigarette n’a pas besoin de passer de casting pour figurer à l’affiche des films et séries les plus célèbres. À l’heure des plateformes de streaming, la production et la diffusion de contenus où les cigarettes sont omniprésentes ne cessent d’augmenter.

La saison 2 de la série à succès « Stranger Things » compte plus de 250 scènes dans lesquelles on peut voir l’un des personnages principaux fumer. Plus récemment, dans le film « Oppenheimer », l’acteur Cillian Murphy fume plus de 3 000 cigarettes à l’écran.

Bien que factices, les cigarettes consommées à l’écran renvoient souvent toutes un message particulier : fumer c’est « stylé », c’est l’apanage des “rebelles” ou ça “détend” etc.

Cette association fréquente entre tabagisme et « coolitude » n’est pas anodine et participe à la construction d’un imaginaire positif autour de la cigarette, particulièrement influent chez les plus jeunes spectateurs.

La stratégie de contournement de la loi Evin par le lobby du tabac

Si, depuis la Loi Evin, la publicité, la promotion et le sponsoring pour le tabac sont interdits en France, les industriels et lobbies du tabac ont vite trouvé des façons détournées de montrer leurs produits dans les films et séries grand public.

Une cigarette à l’écran représente un véritable placement de produit, d’autant plus efficace qu’il est subtil. Selon le film et le personnage, le cinéma crée un imaginaire autour de la cigarette pour la rendre attrayante. La personne qui fume est souvent dépeinte comme cool, rebelle ou libre.

Dès les années 1970, le géant Philip Morris reconnaissait ouvertement que « *la majorité des images positives de la cigarette et du tabac [étaient] créées par le cinéma et la télévision* ».

Comme l’analyse Roxane Hamery, professeure en études cinématographiques à l’Université Rennes 2 : « Au début d’Hollywood, c’est un accessoire du glamour et un signe d’émancipation pour les femmes, alors que chez l’homme le tabac renvoie à la virilité. Plus tard, avec la Nouvelle Vague, la cigarette devient davantage un indicateur générationnel associé à la jeunesse qu’un marqueur sexualisant.« 

Voir des acteurs fumer incite les plus jeunes à fumer

De nombreuses études scientifiques l’attestent : plus les adolescents voient des personnages fumer à l’écran, plus ils sont enclins à reproduire ce comportement. Le tabagisme dans les films serait responsable à 37% de l’initiation au tabagisme des adolescents.

Les chiffres sont éloquents : le tabagisme représenté dans les films double les risques de commencer à fumer et multiplie par trois le risque de commencer à vapoter chez les jeunes. En effet, voir régulièrement des personnages fumer à l’écran banalise cet acte, qui devient progressivement perçu comme normal.

Dans cette normalisation, on en oublie presque que la cigarette tue 75 000 personnes par an en France. Et qu’au-delà de son impact sanitaire, elle représente un véritable fléau pour l’environnement et l’Océan.

Le tabac : un désastre écologique

L’industrie du tabac n’impacte pas seulement la santé humaine. Elle est aussi responsable d’un désastre écologique !

  • Plus de 200 000 hectares de forêts sont rasés chaque année pour cultiver et sécher le tabac, soit l’équivalent de 494 000 terrains de football.
  • La production de cigarettes génère près de 84 millions de tonnes d’émissions de CO2 par an, comparables aux émissions annuelles de certains pays.
  • Cette même production cause un épuisement de 22 milliards de tonnes d’eau chaque année, représentant plus de deux fois et demie l’approvisionnement annuel de l’ensemble de la population du Royaume-Uni.
  • L’utilisation massive de produits chimiques de régulation de croissance, d’engrais et de pesticides pollue gravement les voies navigables et les nappes phréatiques.

 

Et le constat le plus alarmant pour nos océans : un seul mégot peut polluer jusqu’à 500 litres d’eau, ce qui en fait la première source de pollution des cours d’eau et des océans.

Quand le grand (et le petit) écran banalise un geste écocide : jeter son mégot par terre

Parce que nous parlons de cinéma et de sa tendance à normaliser l’acte de fumer, il est important de mentionner qu’il a également grandement contribué à banaliser un geste catastrophique pour l’Océan : celui de jeter son mégot par terre.

« Le cinéma a été, ces dernières décennies, le reflet d’une société qui a accepté, banalisé et déculpabilisé le geste qui consiste à jeter son mégot de cigarette par terre« , expliquait le ministère de la Transition écologique il y a quelques années.

Combien de fois avons-nous vu à l’écran un personnage écraser sa cigarette du pied sur le trottoir ou la jeter d’un geste nonchalant ? Ces images participent à ancrer dans les esprits que ce comportement est acceptable, voire même normal.

Pourtant, les conséquences de ce geste pour l’Océan sont désastreuses : sur les 11 milliards de mégots jetés chaque jour à travers le monde, 40% finissent par échouer dans les océans.

Le mégot, un concentré de toxicité

Contrairement à ce que beaucoup pensent, le problème du mégot ne s’arrête pas à son aspect inesthétique. Une fois la cigarette fumée, les mégots se trouvent chargés de milliers de particules toxiques – au total plus de 7 000 substances chimiques nocives qui se retrouvent concentrées dans ce petit déchet apparemment anodin.

Par ailleurs, le filtre est fabriqué à partir d’acétate de cellulose, une matière plastique qui n’est, contrairement à ce que beaucoup pensent, absolument pas biodégradable. Lorsqu’un mégot est jeté dans la nature, il ne disparaît pas. Il se décompose lentement en micro et nanoparticules de plastique qui persistent dans l’environnement.

Ces particules, combinées aux substances toxiques, ont des conséquences catastrophiques sur les écosystèmes aquatiques, affectant gravement la faune et la flore marines.

Pour en finir avec le fléau des mégots

Face à ce constat alarmant, il devient urgent d’agir concrètement contre la pollution par les mégots. Il est important de rappeler que le jet de mégot par terre n’est pas seulement un geste nuisible pour l’environnement, mais également illégal (et passible d’une amende pouvant atteindre 135 euros).

La véritable solution à ce problème reste l’élimination progressive du fléau que représente la cigarette elle-même.
À défaut, l’industrie du tabac devrait être contrainte de supprimer entièrement les filtres qui constituent l’élément le plus problématique des mégots pour nos océans.

NB : les données du paragraphe « Le tabac : un désastre écologique » sont issus du document suivant, publié par l’Organisation Mondiale de la Santé : https://www.who.int/publications/i/item/9789240051287 – disponible en anglais.

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