Dans les coulisses de Surfrider à Bruxelles – 3 questions à nos lobbyistes

Elles sont trois : Lucie P. défend la lutte contre la pollution plastique, Lucille L. se bat pour la qualité de l’eau et la santé, Gaëlle H. œuvre pour l’aménagement durable du littoral.
Rencontre avec celles qui portent la voix de l’Océan dans les couloirs du pouvoir européen.

Pour vous, le mot "lobby", c'est un gros mot ?

Lucie P. : « Pour moi, le “lobbying”, ce n’est pas un gros mot même, si je comprends que pour certains, ce terme évoque la défense d’intérêts privés en ayant recours à des techniques plus ou moins douteuses.
En réalité le lobbying c’est de l’influence sur les décisions politiques, pour défendre un intérêt qui peut aussi être un intérêt général. C’est ce que nous faisons à Surfrider : l’intérêt que l’on défend, c’est celui de l’océan !
On utilise parfois la notion de “plaidoyer” aussi, dans laquelle on retrouve le côté “campaigning”, l’interpellation du grand public, etc. On peut choisir de les distinguer, mais à mon sens, le plaidoyer, c’est juste un autre levier que l’on active pour influencer les décisions politiques : on interpelle l’opinion publique pour avoir plus de poids.”

Lucille L. : « Je n’ai pas trop honte de dire que je suis lobbyiste. Le lobbying, c’est de la représentation d’intérêts, et je trouve important que des gens pensent à l’intérêt de l’environnement, des écosystèmes et de la société civile.
C’est vrai que quand on pense “lobby”, on pense beaucoup aux grands groupes, aux fédérations, aux syndicats etc. qui, le plus souvent, défendent des intérêts privés et sont, pour beaucoup, motivés par l’argent !
Mais on peut être aussi motivé.es par le fait de défendre l’intérêt général, ou des des entités qui n’ont pas de voix et qui ne peuvent se défendre elles-mêmes !
Pour ça, à Surfrider, on compte beaucoup sur la mobilisation et le relai des citoyens et citoyennes, lors des mobilisations, sur les réseaux sociaux, ou même lors des consultations publiques. C’est aussi un moyen de faire pression, et ça reste légal …”

Gaëlle H. : « Ma définition de lobbyiste, c’est de la représentation d’intérêt. Nous, on représente l’intérêt général, un bien commun pour l’humanité. On porte la voix de l’Océan, de la nature, du littoral, des mers en Europe et des communautés qui en dépendent. Mais c’est vrai que la notion de “lobby” peut faire peur car elle fait parfois référence à des pratiques obscures…
À Surfrider, on ne fait pas “que” du lobby : il y a aussi un important volet Plaidoyer et Contentieux.
Si je prends l’exemple de notre implication dans le projet BeMed+ en Albanie, on ne fait pas de lobbying dans le sens où il n’y a pas une interaction directe avec les décideurs ou une influence sur un quelconque texte de loi. C’est plutôt des actions pour inciter à défendre les intérêts de l’Océan.
À Bruxelles en revanche, c’est vrai que l’action de “lobbying” est plus importante : on identifie les bons interlocuteurs, on rencontre les décideurs sur des textes très précis, on émet des recommandations sur ce qui devrait être fait, on incite à prendre telle ou telle orientation, etc.

Le lobbying environnemental, c’est donc avant tout porter une voix qui n’en a pas : celle des écosystèmes marins et des générations futures.

Quel est votre plus grand défi au quotidien lorsque l’on parle de lobbying pour la protection de l’Océan ?

Le rapport de force inégal

Lucie P. : « On est face à des intérêts souvent opposés à ce qu’on défend et on doit faire avec des ressources limitées par rapport aux lobbies industriels : certains ont 10 personnes sur un dossier quand nous, on est une personne sur 10 dossiers… Malheureusement c’est souvent ce qui se passe en termes de rapport de force. »

Gaëlle H. : « C’est assez compliqué quand parfois, en face de nous, on a des acteurs de l’industrie peuvent contracter 50 personnes pour faire du phoning toute la journée pour diffuser leurs idées et tenter de convaincre le plus grand nombre.
On n’a pas ces ressources ou cette force de frappe !
Malheureusement, si un secteur a 80 lobbyistes, il va forcément avoir plus d’oreilles… »

La temporalité paradoxale

Lucie P. : « De manière paradoxale, notre travail se déroule sur un temps assez long et parfois, c’est très intense sur de courtes périodes. Il peut arriver que la Commission européenne ouvre un appel à contribution sur une durée de 15 jours à propos d’un dossier qui court depuis 3 ans !. Il faut à la fois être hyper réactif et garder patience. »

Le climat politique hostile

Lucille L. : « L’actualité est très dure en ce moment. On fait face à beaucoup d’opposition et dans le même temps il y a beaucoup de sujets qui peuvent très vite sembler “plus importants” que celui qu’on défend.
On sait que ce pour quoi on se bat a du sens, et en même temps c’est parfois décourageant de constater les résultats qu’on obtient péniblement, face à l’ampleur de la problématique.
Au delà de tout ça, il y a aussi beaucoup d’incertitude car même les choses qui ont pu être actées peuvent être facilement remises en question. Rien n’est gravé dans le marbre. »

Gaëlle H. : « Selon moi le plus dur, c’est entendre des visions court-termistes, des personnes qui ignorent ce que nous dit la science ou les fins de non-recevoir basées sur des discours en lien avec l’économie européenne. On sait très bien que ça n’est pas tout noir ou tout blanc. Mais ce qu’on essaie de faire comprendre, c’est que les politiques ont des responsabilités, notamment celles de répondre aux défis pour la société dans son ensemble et non à des intérêts privés. Maintenir une économie basée sur l’énergie fossile par exemple, certes, c’est maintenir des emplois, des ressources, etc. mais c’est aussi se détruire à petit feu, voire à grand feu en ce moment !

Qu'est-ce qui vous fait tenir bon ?

L'urgence de l'action

Lucie P. : « Je crois que ce qui m’aide c’est de me dire “si on (ndlr : les ONGs environnementales dont Surfrider Foundation Europe) ne le fait pas, personne ne le fera”. Si on n’est pas là pour dénoncer les reculs législatifs, pour rappeler à l’Union européenne qu’elle a pris des engagements pour 2030 et qu’elle est loin de les atteindre, etc. personne ne le fera. Il faut tenir les politiques responsables. »

Lucille L. : « A mon sens, c’est maintenant, quand on est dans le dur, qu’il ne faut vraiment pas lâcher. L’Océan et les écosystèmes aquatiques méritent qu’on porte leur voix. »

Les petites victoires qui comptent

Gaëlle H. : « On a eu des victoires, des petites et des grandes, qui nous rappellent qu’on peut avoir un impact. Je me dis toujours que même une petite victoire, c’est déjà une victoire et que la situation pourrait être encore plus terrible. »

Le soutien de notre communauté

Lucie P. : « Le soutien des bénévoles et du grand public est précieux pour rester motivée. Il y a des mouvements de société civile qui se positionnent, des activistes qui relaient les messages etc. Le combat continue malgré la situation difficile. »

L'innovation dans l'approche

Parfois, il faut sortir des sentiers battus pour se faire entendre. Lucille a emmené des assistants parlementaires faire du kayak sur le canal de Bruxelles, pollué par les eaux usées. Lucie a organisé un « Tour bus » pour montrer à certains décideurs politiques des environnements pollués, situés à proximité d’industries en lien avec la chaîne de production ou de transformation des granulés plastiques industriels. Des initiatives qui marquent les esprits et ouvrent des portes.

Lucille L. : « Quand je les ai vus avec leurs rames et leurs kayaks descendre l’échelle vers le canal, je me suis dit ‘c’est peut-être mon dernier jour à Surfrider ! (rire)’ Mais iels sont ressorti.es ravi.es en disant ‘On ne fait pas tous les jours ce genre de choses !' »

Derrière chaque document de positionnement, chaque consultation publique, chaque victoire législative, aussi petite soit-elle, il y a un travail de fourmi : veille quotidienne, construction d’alliances, cartographie des décideurs, vulgarisation scientifique. Un travail souvent invisible mais essentiel pour que la voix de l’Océan résonne dans les couloirs du pouvoir européen.

L’équipe lobbying de Surfrider Foundation Europe travaille depuis Bruxelles pour influencer les politiques européennes en matière de protection de l’océan. Elle intervient auprès des membres de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil sur les questions de pollution plastique, qualité de l’eau et aménagement littoral.

Table des matières

L'écho bleu

La newsletter de Surfrider

ces articles peuvent vous intéresser

Quand l’économie prime sur l’environnement : les inquiétants reculs législatifs de l’Union Européenne

La Commission européenne veut démanteler les protections environnementales : 470 organisations tirent la sonnette d’alarme

UNOC3 : Surfrider Foundation mobilise les consciences à l’Ocean Basecamp

Pas une goutte de plus dans l’océan : faire en sorte que la troisième Conférence des Nations Unies sur l’océan (UNOC 3) ait un impact tangible pour l’océan