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Montée des eaux : gérer l’inévitable et éviter l’ingérable !

Si les grandes marées qui ont ponctué ce début d’année ont fasciné par leur puissance, leur intensité est incontestablement accentuée par une réalité particulièrement préoccupante : l’élévation du niveau de la mer, conséquence directe du dérèglement climatique et des activités humaines.
Le développement des activités humaines émettrices de gaz à effet de serre a dores et déjà fait dangereusement grimper la température de la planète. De cette surchauffe résulte une accélération et une augmentation de la fonte des glaciers qui, associées la dilatation de l’eau causée par sa montée en température, mène depuis plusieurs années maintenant à l’élévation du niveau de la mer.
Si ce phénomène n’est pas nouveau, l’accélération de la montée des eaux est aujourd’hui alarmante, tout autant qu’elle est inévitable.

Le long du littoral français des manifestations de l’avancée de l’océan et de l’érosion des reliefs ont déjà provoqué de nombreux dégâts : effondrement de digues, reculs de plages et des traits de côte, submersion… etc.
S’il est évident qu’on ne peut pas stopper la montée des eaux, il est encore temps d’agir et de se préparer au mieux pour en atténuer les effets.


C’est d’ailleurs le message de notre nouvelle opération de sensibilisation, lancée aujourd’hui même, intitulée « _sous-mer ».


Pour présenter un peu plus en détails le problème lié à l’élévation du niveau de la mer, nous avons posé quelques questions à Adeline, notre experte sur le sujet.

Comment expliquer le phénomène de montée des eaux ?

Le niveau de la mer est naturellement lié à la température de la Terre : lors de la dernière période glacière, il y a 20 000 ans, quand il faisait 5°C de moins sur la planète, l’eau était 125m plus bas. Si le niveau de la mer est remonté pendant la déglaciation, il était stable depuis ces 4200 dernières années (fin de la déglaciation).

L’augmentation du niveau de la mer a repris au début de XXe siècle, avec les premiers effets du changement climatique et de l’augmentation des températures de l’air et de l’Océan. Cette élévation s’accélère : elle a doublé entre le début et la fin du siècle. Elle est aujourd’hui autour de 3mm/an. Si rien n’est fait, le niveau moyen pourrait augmenter d’environ 80 cm d’ici la fin du siècle, avec des amplitudes différentes selon les régions du monde.

Quel est le problème de l’augmentation du niveau de l’Océan ?

Avec l’élévation du niveau de la mer, l’Océan gagne du terrain sur les parties terrestres. Cela veut dire que :

  • Les zones littorales les plus basses vont se retrouver immergées de manière permanente.
  • Les nappes phréatiques proches de l’Océan vont se saliniser, et deviendront impropres à la consommation
  • Les risques côtiers comme l’érosion et la submersion vont augmenter
  • Les cyclones vont augmenter en intensité et en ampleur

Les coûts humains risquent donc d’être importants, car les zones littorales sont bien souvent très densément peuplées, et il y a de nombreux enjeux humains sur ces zones à risque ! Cela signifie que sans action concrète pour s’adapter et anticiper, des habitations et des infrastructures risquent de disparaître.

Qui est concerné par la montée des eaux ?

Le niveau de la mer augmente de manière générale. Ce qui signifie que de très nombreux pays, bordés par l’Océan ou la mer, seront impactés à différentes échelles.

Nous avons, en France, de nombreuses zones peu élevées (par rapport au niveau de la mer), et souvent très habitées (car très attractives). De manière générale, les communes littorales en France hexagonale sont 2,5 fois plus densément peuplées que les autres communes. Il y a donc une véritable concentration d’enjeux humains sur les littoraux ! En tout, en France, environ 1,4 million de personnes résident dans des zones potentiellement exposées à l’aléa inondation par submersion marine.

Le principal problème rencontré aujourd’hui sur le territoire hexagonal, comme dans beaucoup d’autres pays d’ailleurs, est que l’on a construit de nombreuses infrastructures – on a anthropisé – des zones littorales dites “basses” et pourtant naturellement immergées lors des marées de plus fort coefficient, ou soumises naturellement au risque submersion. Malheureusement aujourd’hui, le changement climatique ne fait qu’empirer ces phénomènes.

Globalement, les zones les plus exposées sont les deltas (comme en Camargue par exemple), les îles, et les bandes côtières de basse altitude.
Par exemple, dans les hauts de France, le delta de l’Aa, a été poldérisé dès le moyen âge. C’est-à-dire que les terres ont été asséchées pour gagner du terrain sur la mer. Les systèmes de drainage et d’assèchements ont été consolidés au fil des ans, notamment dans les années 70. Aujourd’hui, cette zone de 100 000 ha, située sous le niveau de la mer, est habitée par 450 000 habitants. On retrouve la même problématique dans l’Héraut et dans le delta du Rhône. La Charente maritime, la Vendée, sont des départements très bas qui sont aussi particulièrement exposés à la montée des eaux et au risque submersion, comme l’a montré la tempête Xinthia en 2010.

Que font les collectivités pour faire face à ce problème ? des mesures ont-elles été prises ?

En France, il y a clairement un avant et un après Xytnhia. Les politiques publiques se sont mises peu à peu à cadrer les risques côtiers. Les collectivités doivent aujourd’hui effectuer deux cartographies identifiant les zones à risque érosion : l’une à horizon 30 ans, qui rend quasiment inconstructibles ces zones et facilite les droits de préemption et l’autre à horizon 100 ans, qui autorise la construction à condition que la démolition soit prévue.

Si les collectivités en France sont de plus en plus sensibilisées à la question, il reste deux problèmes majeurs :

1️⃣ La différenciation entre risque érosion et submersion. Ces deux risques sont naturellement liés : l’érosion, en créant des brèches par exemple, facilite le risque submersion (excepté sur les falaises et les territoires hauts) quand le risque submersion entraîne en général un déficit de sédiments et donc de l’érosion !
Le problème tient au fait que la gestion de ces deux risques est différenciée d’un point de vue législatif et budgétaire :
– les événement de submersions sont gérés dans le cadre du Plan d’aménagement et de prévention des inondations
– pour le risque érosion c’est la loi Climat et Résilience de 2021 qui entre en jeux et a permis des avancées conséquentes. Pourtant il pourrait être véritablement plus efficace de joindre les moyens financiers et législatifs.

2️⃣ La perception des citoyens. Les collectivités ont encore souvent beaucoup de mal à aller créer de la concertation et du dialogue avec les citoyens et notamment avec les touristes et les résidents secondaires, qui sont eux-mêmes, très souvent, assez peu informés sur le sujet. Ponctuellement présents sur les territoires littoraux, ces derniers ont bien souvent une image faussée de la réalité de ces espaces. Ils y voient des espaces figés, immuables, alors même que ce sont des territoires mouvants, qu’il ne faut pas essayer de figer, et auxquels il faut laisser la place d’évoluer.

Il est donc important de continuer à travailler au niveau national et européen sur la sensibilisation des citoyens et la perception des risques côtiers d”un côté, et améliorer les dispositifs de gestion de ces risques de l’autre en mettant en place, par exemple, une politique européenne globale de gestion des risques côtiers et d’adaptation des littoraux au changement climatique.

Atténuation et adaptation, les deux mots-clés pour faire face à la montée des eaux

La montée des eaux est une des conséquences majeures du changement climatique.
Comme pour tout enjeu lié au changement climatique, il y a deux types d’actions à mener :

→ Des actions d’atténuation du changement climatique. Globalement, consommer moins, faire preuve de sobriété, réduire nos usages du pétrole et des énergies fossiles, etc

→ Des actions d’adaptation.
Pour les littoraux, différentes stratégies d’adaptation peuvent être mises en place :
– des solutions dites « dures » ou de « lutte active » : ce sont des visions à courts termes, souvent très onéreuses, qui s’opposent frontalement à l’Océan. Cependant, et notamment dans les zones très urbanisées, ces solutions auxquelles il faudrait pourtant éviter de recourir, sont inévitables.
La “lutte” contre l’Océan est un combat perdu d’avance.
C’est d’ailleurs pour cette raison que la meilleure solution reste le recul stratégique : éloigner de la côte les enjeux humains, les reculer. Toutefois Il faut avoir la place et le budget pour mener ce type de projets, qu’il faut préparer dès maintenant, à bien. Il faut également réussir à convaincre les citoyens habitants ou travaillant dans les zones concernées.

→ Enfin, il est également possible de recourir à des solutions douces, comme les solutions fondées sur la Nature, qui peuvent s’accompagner du retrait stratégique d’enjeux. L’idée est de restaurer ou “renaturer” les espaces littoraux, pour qu’ils puissent jouer leur rôle de zones tampons face aux risques côtiers. Les écosystèmes de carbone bleu par exemple, en plus de stocker le carbone, permettent d’atténuer la force des vagues de submersion, et peuvent être inondées ce qui protège les habitations ou autres enjeux anthropiques situés derrière.

Il est certain que de nombreux écosystèmes littoraux vont être immergés dans les prochaines décennies. Il est important de leur laisser l’espace nécessaire pour évoluer et reculer afin qu’ils puissent être résilients et qu’ils continuent de remplir leurs fonctions écologiques. Pour cela, nous devons entreprendre des actions concrètes pour atténuer fortement le changement climatique.

Arrêtons de construire sur les côtes et changeons notre imaginaire des littoraux. Il est temps de comprendre que la maison “les pieds dans l’eau” n’est pas un rêve mais pourrait très bientôt devenir un cauchemar.

Il s’agit de gérer l’inévitable, et de faire en sorte d’éviter l’ingérable !