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Erika : naufrage du droit ?

Le camion plein des déchets ramassés dans la décharge sauvage. Crédit: Aines Arizmendi

Alors que la Cour de Cassation doit se prononcer le 24 mai 2012 dans l’affaire du naufrage ERIKA, les conclusions de l’Avocat général censées guider la décision de la Cour ont été partiellement dévoilées par des victimes. Coup de théâtre, l’audace dont avait fait preuve la Cour d’appel en consacrant le préjudice écologique et la culpabilité de la compagnie TOTAL est menacée par ces conclusions. Surfrider conteste ce revirement de situation.

De la remise en cause de la compétence des juridictions françaises

L’avocat général semble écarter la compétence des juridictions françaises au motif que le naufrage a eu lieu dans la Zone Economique Exclusive de l’Etat (soit la limite des 200 milles marins) et que dès lors, seul l’Etat du Pavillon serait compétent pour juger de cette affaire. Cette interprétation donnée au détriment de l’Etat victime constitue une régression juridique.

 

Ce n’est pas la première fois que la compétence des juridictions françaises est remise en cause dans l’affaire Erika. En effet, dans un premier temps, c’est l’ordre judiciaire italien qui avait été saisi en raison de la nationalité de la société de classification RINA mise en cause dans ce naufrage. Cette demande fut écartée par les juridictions italiennes elles-mêmes sur le fondement de l’article IX de la Convention de Bruxelles de 1969 CLC[1]. Celui-ci dispose que « lorsqu’un événement a causé un dommage par pollution sur le territoire, y compris la mer territoriale, ou dans une zone telle que définie à l’article II [soit la mer territoriale et la zone économique exclusive,] d’un ou de plusieurs États contractants, ou que des mesures de sauvegarde ont été prises pour prévenir ou atténuer tout dommage par pollution sur ce territoire, y compris la mer territoriale, ou dans une telle zone, il ne peut être présenté de demande d’indemnisation que devant les tribunaux de ce ou de ces États contractants. »

Au vu du contenu de cet article précisant que l’Etat victime qui a pris des mesures d’atténuation du dommage dans ses eaux est compétent pour juger de la réparation, la France est légitime pour juger de cette affaire. Les magistrats de la Cour de Cassation devraient à notre sens s’inspirer de cette jurisprudence italienne qui applique strictement le Droit international en donnant compétence au juge français. Nous engageons donc la Cour de Cassation à refuser de suivre les conclusions de son avocat général et ainsi reconnaître la validité de la procédure devant les juridictions françaises.

Total épargné ?

Surfrider Foundation Europe s’étonne de l’attitude de l’Etat dans cette affaire, qui semble privilégier les intérêts des armateurs et des compagnies pétrolières. La lenteur de l’Etat à consacrer dans un texte la notion de préjudice écologique lors d’une marée noire témoigne de l’inertie de la France et profite aux pollueurs.

En effet, dans ses conclusions, l’Avocat général suit à la lettre le texte de la Convention CLC en indiquant que le préjudice écologique n’est pas indemnisable puisque ce dommage n’y est pas prévu, à l’exception de la remise en état raisonnable de l’environnement. Ce texte est défavorable aux victimes c’est pourquoi l’Etat s’était engagé lors du Grenelle de la mer en juillet 2009 à « promouvoir de nouvelles règles pour le FIPOL pour une meilleure réparation des préjudices subis ». Cette priorité n’a pas été concrétisée. En revanche, l’Etat semble avoir été plus enclin à organiser des réunions avec la compagnie pétrolière Total pour encourager les victimes à accepter une transaction avec l’affréteur du navire pollueur.

Ce qui ressemble à une connivence de principe avec le secteur de l’économie maritime est relativement contradictoire avec la volonté affichée par l’Etat lors des Grenelle d’appliquer le principe pollueur-payeur.


[1] Convention sur la responsabilité civile en cas de pollution par hydrocarbures, amendée par le protocole du 27 novembre 1992.