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Débat public sur l’avenir des façades maritimes françaises : Enjeux écologiques, énergétiques et participatifs

🕒 Temps de lecture estimé : 15 à 20 minutes

Le 20 novembre dernier marquait le lancement d’un débat public d’envergure dédié à l’avenir des quatre façades maritimes françaises.
Depuis, de nombreuses villes, dont Bordeaux, Marseille ou encore Brest, ont été le théâtre de débats et de tables rondes, rassemblant des acteurs variés autour des enjeux liés à l’Océan.
Le site officiel du débat (https://www.debatpublic.fr/la-mer-en-debat/agenda) témoigne de l’ampleur des échanges déjà tenus et de ceux à venir. Les équipes du débat, parcourant le territoire national, recueille les opinions et les préoccupations des citoyens dans le but de nourrir une réflexion collective sur le devenir des espaces maritimes.

Particulièrement engagés dans le suivi de ce débat, nous avons étudiés précautionneusement les dossiers maîtres d’ouvrage transmis pour chacune des quatre façades maritimes : Manche Est Mer du Nord (MEMN), Nord Atlantique Manche Ouest (NAMO), Sud Atlantique (SA), et Méditerranée.
Ces documents détaillent l’état écologique des eaux marines, les diverses activités maritimes présentes, les contours des projets éoliens en mer, les orientations stratégiques envisagées, ainsi que les attentes et enjeux liés à la participation au débat public « La mer en débat ».

Dans ce contexte, nous vous proposons un récapitulatif des constats émergeant de ces lectures, offrant ainsi une synthèse des enjeux cruciaux abordés dans le cadre de ce débat public.

🌱 Le bon état écologique n’est atteint nul part

Les dossiers étudiés font état de la dégradation constante de la population de mammifères marins, attribuée en partie aux captures accidentelles par la pêche, des inquiétudes croissantes quant à l’évolution de certaines espèces d’oiseaux marins, ou encore de la présence massive de déchets (principalement du plastique) dans les eaux.
Les dégradations des écosystèmes, tels que les herbiers marins en Méditerranée et le phénomène d’eutrophisation (ex : algues vertes en Bretagne), observé au niveau de la façade Nord Atlantique Manche Ouest, accentuent le tableau relativement sombre de la situation actuelle.

En d’autres termes, le milieu marin fait face à une détérioration inquiétante de sa santé dont l’une des causes principales réside dans la multiplication des activités maritimes et l’accumulation des pressions qu’elles engendrent.

Face à ce constat alarmant, il est impératif de mettre en œuvre une planification plus rigoureuse de l’espace marin, une stratégie équilibrée permettant l’exploitation des ressources marines tout en préservant la richesse des écosystèmes et des espèces qui peuplent l’Océan.

Les objectifs fixés dans les dossiers de maîtrise d’ouvrage, notamment en ce qui concerne les Zones de Protection Forte (ZPF), offrent une lueur d’espoir. Cependant, des interrogations subsistent quant à la protection réelle des Aires Marines Protégées et à la définition précise des ZPF dans lesquelles il est primordial d’exclure toute activité industrielle et d’envisager la restriction des activités de loisir. La priorité doit aller au renforcement de la protection des AMP existantes, dans lesquelles il semble logique d’inclure les ZPF, en raison de leur potentiel et des moyens déjà en place.

⛴️ Les activités maritimes en grand nombre renforcent les pressions anthropiques sur le milieu marin

Il est crucial de noter que le véritable problème réside dans l’accumulation et la prolifération démesurée de ces activités. Dans tous les DMOs, les mêmes modèles d’interaction entre les usages et les enjeux écologiques offrent une vue d’ensemble des risques d’impact et des pressions possibles sur les écosystèmes marins et côtiers. Cependant, ces impacts et pressions ne sont pas quantifiées ni mesurés. Aussi il n’est pas possible d’identifier sur chaque façade ou même plus localement les usages les plus impactants, les pressions les plus préoccupantes, et donc, les actions prioritaires à mener.

Par ailleurs, toutes les activités nautiques ne sont pas cartographiées précisément. Certaines d’entre elles sont pourtant indicatrices de la présence d’écosystèmes spécifiques et soulèvent des enjeux écologiques particuliers.

Pour prendre un exemple d’activité de loisir côtière, la cartographie précise des spots de surf, aujourd’hui manquante, permettrait d’identifier ces écosystèmes particuliers dus à la présence des vagues, et donc de mieux les prendre en compte dans les politiques de gestion. Surfrider l’a montré dans d’autres pays (notamment aux Azores), la meilleure considération des spots de surf peut mener jusqu’à la protection de certaines de ces zones, et peut aider à mieux identifier les potentiels conflits d’usage. Protéger les spots de surf, ce n’est pas protéger le surf, mais bien protéger les écosystèmes qui y sont liés.

🔋 L’objectif de 40GW ne semble pas pouvoir être discuté

Au delà d’informations sur le contexte énergétique en France, les informations communiquées dans les dossiers présentent les objectifs nationaux et par façade (avec des objectifs minimum et maximum par façade) à horizon 10 ans et 30 ans (2050). La somme des objectifs minimum est de 40 GW (soit l’objectif signé entre l’Etat et la filière dans le pacte éolien en mer – même si encore non acté règlementairement). Depuis ce pacte, l’Etat a fait de nouvelles annonces visant un objectif de 45GW en 2050.

Ainsi une préoccupation majeure émerge à la lecture de ces dossiers : l’objectif de 40 GW semble indiscutable. Si des équivalences entre l’éolien en mer et d’autres énergies renouvelables ou décarbonées terrestres sont données pour un éventuel transfert, il ne semble pas que l’Etat soit prêt à revoir à la baisse l’objectif de développement de l’éolien en mer. Il semble considérer comme allant de soi que les façades peuvent accueillir tous ces parcs éoliens.
La démarche qui se veut partir de la mer pour parler de l’énergie est donc complètement galvaudée : on part bien d’un objectif énergétique que l’on veut faire passer en force sur l’espace marin, sans se demander si le rythme de développement envisagé et le nombre de parcs éoliens pourront être supportés par le milieu marin.

Ces observations soulèvent également la question de la sobriété énergétique, prônée par l’État sans que cela ne se traduise sur le milieu marin. Ces dossiers montrent qu’on est dans une logique d’accumulation d’usages : à aucun moment, la question de réduction de nos activités maritimes n’est posée…

La lecture des dossiers a également permis de constater que le sujet du raccordement, pourtant essentiel, n’est que trop peu abordé alors même qu’il représente un enjeu important.
En effet le raccordement au niveau du littoral, bien que techniquement complexe, doit tenir compte de certains espaces côtiers qu’il est impératif de préserver en raison de leurs écosystèmes sensibles et des risques d’érosion : il ne peut pas être réalisé n’importe où, et induit la gestion d’un équilibre délicat entre les besoins énergétiques et la protection de l’environnement.
La proximité du réseau de transport d’électricité ajoute une contrainte supplémentaire, soulignant l’importance de concilier les impératifs technologiques avec la préservation des milieux naturels.

Enfin, les dossiers ne font que peu mention des autres énergies marines renouvelables (houlomoteur, hydrolien).
Si les technologies existantes sont listées et quelques projets mentionnés (notamment l’ambition de créer une ferme houlomotrice au large de Biarritz), il est clairement indiqué que ce n’est pas la priorité aujourd’hui.
Même si ces remarques sont justes, tout est encore à inventer et à imaginer : financements participatifs, progrès technologiques qui diminueront les coûts, implication des territoires dans la conception du projet, etc.
Il est regrettable de ne pas davantage ouvrir ces portes de discussions lors de ce débat.

🧭 Et en 2050 ?

La projection à l’horizon 2050 proposée dans les dossiers constitue une tentative de visualiser l’état futur des façades maritimes, avec une attention particulière portée sur l’atteinte du bon état écologique du milieu marin. Si les objectifs fixés pour les façades de l’Ouest manquent d’ambition, les perspectives envisagées pour la façade méditerranéenne relèvent d’une approche novatrice. La vision stimulante proposée dans le dossier invite à envisager un état futur où les écosystèmes marins sont en meilleur état écologique et propose certaines mesures concrètes pour y arriver. Cette vision méditerranéenne intègre également les impacts et les évolutions du changement climatique. Elle arrive à nous embarquer dans un futur désirable, qui semble ancré dans la réalité, et qui propose une vision de ce pourrait être notre interaction positive avec l’Océan.

Cependant, la conclusion tirée de ces projections soulève des questions cruciales. Si les lignes directrices proposées dessinent des pistes pour atteindre le bon état écologique, leur niveau d’ambition demeure en deçà des défis environnementaux actuels et des aspirations à long terme pour la préservation de nos océans.

🗣️ Les enjeux de la participation au débat et les attendus

Les DMO sont aussi l’occasion, pour les co-rédacteurs (l’État et RTE), de rappeler les différents enjeux et les attendus de la participation des différents acteurs de la société (citoyens, entreprises etc.) au débat public.

Les enjeux précisés dans les dossiers étudiés sont les suivants :

  • Permettre, à l’issue des conclusions du débat, la rédaction du projet de volets stratégiques des DSF (Documents Stratégiques de Façade) avant la réalisation d’une étude d’impact stratégique et la saisine de l’autorité environnementale (nécessaire pour obtenir les autorisations environnementales permettant de lancer les projets et les actions qui en découleront),
  • Donner lieu à la production d’une cartographie prioritaire de l’éolien en mer avant de lancer les premiers appels d’offre,
  • Lancer les concertations fontaines par RTE pour identifier les fuseaux (du câble électrique) de moindre impact
  • Adopter, fin 2024/début 2025, les nouveaux DSF et le notifier à la commission européenne

Concernant les attendus :

  • Identifier les secteurs à privilégier pour atteindre la cible de protection forte attribuée à la façade (et aller jusqu’à questionner le niveau d’ambition de la politique de protection du milieu marin)
  • Arriver à des cartes de vocation réellement opérationnelles, avec des zones plus précises et des enjeux plus ciblés.

Selon le planning évoqué, l’État va lancer, en 2025, les appels d’offre pour 10 nouveaux projets de parcs éoliens sans que l’on ne puisse discuter, de manière précise, des caractéristiques et des enjeux de ces parcs. Les enquêtes publiques prévues dans le cadre de ces projets n’aura lieu que d’ici 6 ou 7 ans, soit après la définition des zones et du choix de l’entreprise qui se chargera d’installer les parcs.

Il est donc primordial de se mobiliser dès maintenant et de participer au débat en étant particulièrement précis quant aux zones que nous souhaitons protéger sans concession.